29 mars 2019

Grand entretien : Cultiver sur les toits de Paris - Nicolas Bel, co-fondateur de TOPAGER

Panorama : cultiver sur les toits de l'opéra Bastille.

Nicolas Bel est co-fondateur de Topager. A l'origine il est ingénieur en mécanique, devenu formateur en éco-conception. Il s'intéresse au cycle de vie des produits, et à la façon dont les déchets peuvent devenir des ressources. Et puis il découvre le bio-mimétisme, dévore le livre de Janine Benyus Inspired by nature. Il intègre ces concepts à ses formations, et de là, en vient à s'intéresser à l'agriculture, comme espace permettant d'imiter un écosystème. Pour lui, l'urbain qui n'y connaît rien, c'est la ville qui doit devenir un écosystème. Pratiquer l'agriculture en ville c'est donc : imiter un sol vivant, en fabriquant de l'humus pour éviter le lessivage des nutriments, traiter les déchets comme des ressources, et rendre des services écosystémiques (comme réguler les eaux d'orage ou rafraîchir la ville lors des canicules ).
En 2012, avec Nicolas Marchal, il fonde une association appelée « Potager sur les toits » autour d'un premier projet expérimental lancé sur le toit d'AgroParisTech pour mettre en pratique une thèse soutenue par une étudiante de l'école. Pour mener à bien ce projet, il s'associe avec Frédéric Madre, qui travaille au Muséum d'Histoire Naturelle et qui est spécialiste des toitures végétalisées.
Et c'est là que commence la médiatisation de leur projet, Nicolas a son portrait dans Libé, l'asso est sollicitée pour porter des projets ailleurs, et décide de devenir une entreprise : « Potager sur les toits » devient « Topager ».


Topager est sollicité entre autres par Pullman Tour Eiffel en 2014 pour installer un potager qui alimente le restaurant de l’hôtel, le Bon Marché ou encore l’école Ferrandi. En 2017, Topager remporte le concours ParisCulteurs pour le projet sur les toits de l'Opéra : L’Opéra Quatre Saisons. Une étude complète qui associe bilan de l'étanchéité et installation des parcelles cultivées. Aujourd'hui, Topager peut revendiquer environ 150 projets conçus ou en conception, une centaine de réalisations, sur une cinquantaine de sites. L'entreprise compte désormais 18 salarié·e·s réparti·e·s sur quatre pôles : le suivi (l'entretien, le maraîchage mais aussi l'animation), la conception, la réalisation et la recherche.
L’entreprise suit une croissance organique et pas forcément stratégique, elle s'adapte à son milieu et aux sollicitations, sans avoir de plan préconçu : « On pousse en fonction des offres, et notre force c'est de rester petit, l'idée c'est de faire cohabiter l'atelier et le bureau pour être toujours en relation avec le terrain et continuer d'inventer. On ne se contente pas de planifier, on cherche à concevoir. Les salarié·e·s maraîcher·ère·s doivent rencontrer les salarié·e·s concepteur·rice·s. Une petite structure permet plus de souplesse et d'innovation. Notre ADN c'est de rechercher des nouvelles techniques et de nouvelles idées à la fois dans les techniques et les usages. »


Les serres sur une partie du toit de l'opéra

Le projet de l'opéra est ainsi conçu comme un laboratoire, qui permet de tester pour essaimer. Et ce que teste l’opéra, c’est de la technique (le transport des récoltes par exemple) mais aussi de l’animation : comment faire en sorte que les salarié·e·s de l’opéra, destinataires des paniers de légumes, s’emparent du projet ?
Sur ce toit prestigieux mais difficilement praticable, « on avait le choix entre faire de l'ultra-luxe pour les grands chefs ou les épiceries fines, en produisant du local, bio, saisonnier en direct de l'opéra, ou proposer un système d'abonnements plus démocratique, même s'il s'adresse évidemment à une catégorie relativement aisée (celle des salarié·e·s de l’opéra). Autrement dit, soit un marché de niche, basé sur des cultures spécifiques et fragiles (comme les herbes et les jeunes pousses), soit un marché plus nourricier qui s’inscrit sur la durée. »
Ce choix de l’abonnement au panier à l’opéra est ce qui explique l’intérêt de Topager pour les AMAP, et son désir de s’inspirer de ce modèle :
« Topager apporte son expertise technique, mais on veut vraiment que cette conception se fasse avec les gens, avec les habitants. Les habitants ont certes une fonction productive (ils peuvent concrètement aider à la récolte et à la distribution), mais aussi une fonction sociale (ils peuvent aussi se rencontrer et échanger autour des paniers). La participation des gens ne se décrète pas. Mais l'idéal c'est qu'ils s'approprient les lieux. »
Et en effet, la difficulté de l’opéra, c’est que le projet est imposé par le haut, par la direction qui décide d’aménager le toit. Les salarié·e·s mangeur·se·s n’ont rien demandé, ne sont pas à l’origine du projet et certains salariés peinent donc à s’en emparer. Ils se contentent de profiter d’un service proposé par leur employeur, sans réflexion sur la pratique agricole ou la fixation des prix.
Aujourd'hui, à l’opéra, pour établir le prix des paniers, « on s'aligne sur le prix du détaillant bio parce que c'est le référentiel de notre public, tout en étant transparents sur les coûts mais on pourrait inventer un système plus solidaire qui prendrait en compte le prix de revient des légumes et les salaires des maraîchers. Pour le moment le toit de l'opéra est déficitaire : on dépense tout en main d’œuvre, pour les récoltes qui demandent beaucoup de manipulation (notamment pour transbahuter les caisses d’un toit à l’autre, pour ensacher les légumes, les descendre et les distribuer). »


Pesée des légumes pour les répartir dans les paniers

Du point de vue économique, l’abonnement au panier pourrait rendre un·e producteur·rice autonome. Mais Topager aimerait former des maraîcher·ère·s urbain·e·s et des collectifs pour que le projet « devienne leur bébé » et qu’ils puissent mettre en place une autonomie financière réelle, fondée sur des principes clairs et sur une transparence des comptes.
Au sein de l’agriculture urbaine, Topager se positionne en faveur d’un modèle agricole innovant mais respectueux du vivant et des ressources naturelles :
« Dans les projets qu’on réalise, on veut privilégier la pleine terre, et la capacité à faire vivre des gens. On défend un système sur substrat, qui ne gâche pas inutilement des ressources, qui soit saisonnier sans être pour autant vivrier. Par exemple, je suis contre l'hydroponie, ou les cultures sous serres, pour ce qu'elles représentent comme déchets, comme plastique, comme dépenses énergétiques et financières et comme gâchis des ressource, donc je ne peux pas soutenir ces projets, quand bien même ils font partie de l'agriculture urbaine et peuvent rendre des services écosystémiques intéressants pour la ville.
Aujourd'hui l'AFAUP (Association Française de l’Agriculture Urbaine) et la DRIAAF (Direction régionale et interdépartementale de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Forêt) ont monté des cellules spécifiques pour la végétalisation des toits, pour penser les aménagements, et accompagner ces projets. C'est la preuve qu'il y a une réflexion et une volonté politique de développer cette agriculture dans le milieu urbain. »
En fait, pour Nicolas Bel, les AMAP représentent une véritable garantie éthique, aussi bien dans les pratiques agricoles que dans l’engagement citoyen :
« Les toits de Paris ne permettront jamais l'autonomie alimentaire, et ce ne sont pas des fermes à proprement parler. Mais ils peuvent devenir des écosystèmes à la fois de la biodiversité et de la convivialité. On ramène la nature en ville mais on est fragile. Le système AMAP est un système solide et reconnu, avec une éthique claire et reconnaissable. C’est la construction et la transmission de ces principes qui fonde mon intérêt pour les AMAP. »

Cet entretien n'est que le début d'une discussion qui doit lancer un chantier de réflexion au sein de l'AFAUP avec des membres du Réseau pour imaginer une façon d'adapter les principes AMAP à cette nouvelle forme d'agriculture. L'idée serait de construire une forme de contractualisation solidaire et sans intermédiaire, pour promouvoir le développement d'une agriculture urbaine respectueuse du vivant et bénéfique pour l'écosystème des villes, mais qui ne peut évidemment prétendre ni à assurer l'autonomie financière d'une ferme, ni à maintenir une agriculture paysanne.

Par Maud, administratrice du Réseau.

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