28 fév 2022

Paysan·nes face aux aléas climatiques : l’impasse de l’assurance récolte, la solidarité en AMAP en perspective

Les paysan·nes sont de plus en plus exposé·es aux aléas climatiques, et de moins en moins protégé·es par les pouvoir publics. Cette tendance invite le Réseau AMAP IdF à réfléchir aux pratiques de solidarités au sein des AMAP, pour répondre aux besoins des paysan·nes. C'est pourquoi nous lançons une enquête sur les pratiques de solidarité au sein des fermes entre amapien·nes et paysan·nes.

Si vous souhaitez participer à l'enquête du Réseau sur les pratiques de solidarité, rendez-vous à la fin de cet article !

 

Le contexte climatique actuel expose les paysan·nes à un risque croissant de précarité financière. Or, malgré l'accroissement des risques, le système actuel ne les protège que trop peu.

Un mécanisme d'assurance insuffisant

Deux mécanismes existent actuellement pour indemniser les agriculteur·rices en cas d'évènement climatique exceptionnel (orage, foudre, gel, pluie torrentielle, inondation, neige, canicule, sécheresse, grand froid, tempête, etc.) :

Le régime des calamités agricoles est le dispositif historique d'indemnisation des pertes liées aux aléas climatiques. Ce régime public, créé dans les années 1960, a vu son champ d'application de plus en plus restreint au fil des années 2000, au profit de contrats privés d'assurance multirisque (l'assurance récolte) en plein développement. Le mécanisme de calamité agricole peut se déclencher à partir d'un niveau de perte de récolte supérieur à 30% de la production annuelle. L'évaluation des pertes est collective. Elle consiste en une enquête de terrain effectuée sous contrôle de l'État. Le niveau d'indemnisation des pertes se situe généralement entre 12% et 35% des pertes selon les biens et les cultures, par rapport à un barème départemental. Le délai d'indemnisation atteint souvent les 9 mois.

L'assurance récolte est un contrat privé cofinancé par la PAC qui s'est particulièrement développé depuis les années 2000. Pour qui souscrit à un contrat multirisque, l'assurance récolte couvre les dommages « assurables » exclus du régime des calamités agricoles : pertes de récoltes dues au vent et à la grêle, pertes de récolte sur céréales, etc. L'assurance récolte couvre les pertes de production qui représentent plus de 30% du rendement annuel de la culture, avec une indemnisation à hauteur de 70%-80% des pertes. L'évaluation des pertes est individuelle (basée sur images satellites). Le délai d'indemnisation est souvent de quelques semaines. La signature de tels contrats est subventionnée par l'Etat.

Ce double système ne protège que trop peu les agriculteur·rices. Cela résulte principalement du fait que le marché privé de l'assurance n'est pas du tout adapté aux besoins de protection et de solidarité du monde agricole. Les assurances elles-mêmes reconnaissent l'incompatibilité des intérêts des agriculteur·rices avec leur quête de profits : les contrats d'assurance récolte leur font perdre de l'argent. La hausse des tarifs de 15% à 20% en 2022 est une énième tentative de rentabiliser ces contrats. Ceux-ci ne perdurent que parce qu'ils sont sous perfusion, financés par des subventions publiques incitatives, issues de la PAC (subventions des paysans à la signature d'un contrat). Malgré cette perfusion, seule 30% des terres agricoles françaises sont assurées, et certains secteurs d'activité en sont quasiment ou totalement exclus, comme l'arboriculture (3% des terres assurées) ou l'apiculture (exclus de l'assurance privée, seulement protégés par le régime calamités).

Le régime des calamités agricoles, pour sa part, repose sur la solidarité nationale et l'intervention de l'État pour soutenir les agriculteur·rices. Mais l'État déserte progressivement ce dispositif, si bien qu'aujourd'hui, le régime des calamités agricoles, entre son champ d'application restreint, son indemnisation trop faible et versée dans des délais trop longs, sans incitation à la prévention, n'offre plus qu'une protection anecdotique. La transition forcée par les pouvoirs publics vers un système basé sur le recours à l'assurance privée nivelle par le bas la protection face aux aléas climatique.

Ce nivellement par le bas s'illustre également dans les modalités d'évaluation des pertes.Traditionnellement, l'évaluation des pertes, dans le cadre du régime des calamités agricoles, se fait par un faisceau d'indices (expertise de terrain réalisée par plusieurs acteurs croisée aux imageries satellitaires). Or, l'État, s'inspire de plus en plus des méthodes utilisées par les assurances privées et a tendance à se fier davantage aux images satellitaires, moins précises, basées sur un examen unilatéral, et moins avantageuses, en somme, pour les agriculteur·rices.


Les inondations de 2016

En 2022, une réforme pour rien ou presque

La sécheresse de 2020 et l'épisode de gel en 2021 auraient pu servir de déclic au Gouvernement quant à la nécessité de repenser notre système de solidarité face aux aléas climatiques. Suite au « Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique », et à la rédaction d'un rapport parlementaire, le Gouvernement a soumis en décembre dernier un projet de réforme des dispositifs de protection face aux aléas climatiques, qui affichait de grandes ambitions. Pourtant, au lieu de prendre en compte les réalités du terrain, il persévère dans le désengagement de l'État et le soutien aveugle aux assurances privées.

La réforme prévoit un régime d'indemnisation basé sur le niveau des pertes : en dessous de 30%, les agriculteur·rices ne sont pas protégé·es. Lorsque les pertes sont comprises entre 30 et 50%, les agriculteur·rices sont protégé·es par leurs assurances privées, s'il·elles ont souscrit à un contrat. Enfin, lorsque les pertes sont supérieures à 50%, un dispositif exceptionnel d'Etat indemnise les agriculteur·rices, avec ou sans contrat privé. Cependant, le montant d'indemnisation sera plus faible si l'on n'a pas souscrit à un contrat d'assurance privée.

Derrière cette restructuration de façade, l'objectif est de désengager l'Etat au profit d'assurances privées inadaptées aux besoins des agriculteur·rices. D'ici 2030, le niveau d'indemnisation exceptionnelle pour les non assurés doit tendre vers 0%. En forçant de la sorte la main au monde agricole, le Gouvernement espère voir, d'ici 2030, 60% des surfaces grandes cultures et viticoles assurées, et 30% des arboricultures et prairies.

Et la paysannerie, dans tout ça ?

La réforme aura pour effet de priver, à terme, tout agriculteur·rice non assuré·e d'un système public de solidarité nationale, et de les soumettre à l'évolution des prix des assurances privées. Or, de par la tendance climatique des prochaines années, les assurances vont être obligées d'augmenter régulièrement leurs prix pour rester rentables, étranglant financièrement les agriculteur·rices. S'il persévère dans sa logique actuelle, le Gouvernement devra probablement augmenter les subventions à la signature de contrats d'assurance privés pour que les banques n'augmentent pas trop leurs prix, au lieu de soutenir directement le monde agricole et de l'accompagner dans les mutations qu'impose le changement climatique.


Les inondations en 2016

 

Pour les agriculteur·rices, les conséquences vont largement dépasser la question du prix des contrats. Forcés de recourir à l'assurance privée, ils vont devoir développer des stratégies néfastes à l'environnement et au bien-être pour s'adapter aux exigences des assurances. Certains agriculteur·rices pourraient, par exemple, choisir de sécuriser des productions à forte valeur ajoutée, même si cela est risqué. Cela impliquerait une spécialisation des cultures et un agrandissement des exploitations agricoles, incitant les agriculteur·rices à recourir aux intrants.

On le voit, le modèle assurantiel que promeut le Gouvernement à travers sa réforme menace l'agriculture paysanne. Cette incompatibilité entre les deux systèmes s'exprime notamment dans la manière dont les modalités d'évaluation des rendements de référence discriminent les pratiques paysannes. La vente directe et le maraîchage diversifié sont plutôt mal adaptés aux exigences comptables quant au calcul des rendements annuels de référence.

Face au désengagement de l'État et l'impasse des assurances privées, les AMAP ont un rôle à jouer pour aider les paysan·nes à se protéger des bouleversements à venir. Des dispositifs de solidarités entre paysan·nes et amapien·nes ont déjà commencé à fleurir en France (cagnottes solidaires, financements participatifs, etc.). Dans le contexte actuel, il paraît important de réfléchir aux manières dont de telles initiatives peuvent se structurer et se développer au plus près des intérêts des paysan·nes. C'est pourquoi le Réseau AMAP IdF mène cette année une enquête sur les pratiques de solidarité au sein des AMAP pour répondre aux difficultés rencontrées sur les fermes.

Dans le cadre de cette enquête, nous invitons les amapien·nes et paysan·nes à répondre à ce questionnaire en ligne(5 minutes) afin de recenser les pratiques de solidarités envers les fermes en AMAP.

Si vous souhaitez aller plus loin dans la participation à cette enquête et réaliser un entretien, vous pouvez nous transmettre vos coordonnées à l'adresse mail suivante : olivier@amap-idf.org.

Par Olivier, stagiaire au Réseau des AMAP IdF

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