29 janv 2021

A la rencontre des femmes paysannes d'Ile-de-France

Depuis plusieurs années, le Réseau mène un travail spécifique autour des femmes paysannes en AMAP. Cela avait commencé avec l'enquête de Margaux en 2017, le superbe podcast qui en est issu, la création du groupe des Josiannes - JOyeuses et SIngulières paysANNES, et s'est poursuivi en 2020 par deux actions phares : le voyage d'études pour amapien.·ne·s de la région sur cette thématique, dont vous trouverez le récit par Cécile, ci-dessous, et la réalisation d'un film documentaire sur le parcours et l'impact du genre sur l'installation de plusieurs paysannes de la région. Ressources à retrouver dans leur intégralité ici

Retour sur un voyage d'études franciliens, un week-end de septembre 2020

Pour la plupart d’entre nous, l’aventure commence de bon matin à Paris ou à Montreuil avec un trajet en covoiturage, savamment orchestré par Mathilde, du réseau AMAP Île-de-France. Venu de la capitale ou de banlieue, chaque amapien (masqué) découvre ses compagnons de route. Nous mettons d’abord le cap sur le Val-d’Oise, destination Vienne en Arthies.

A la rencontre de Sophie Duplay, installée dans le Vexin

Sophie et son mari Rémi nous accueillent à la ferme de la ferme des Millonets à Vienne-en-Arthies dans le Val-d’Oise. Il y a une quinzaine d’années, le couple décide de changer radicalement de vie. Ils s’installent dans ces imposants bâtiments anciens qui enserrent une vaste cour. Sophie qui s'occupait jusqu’alors de ses enfants et au jardinage, se lance dans le maraîchage. Quant à Rémi, il profite de la reconversion de son épouse pour raccrocher son costume et quitter les bureaux de la Défense. Il se consacre désormais à la fabrication de pain et à l’accueil des visiteurs. C’est d’ailleurs dans les chambres des gîtes qui occupent une partie de la ferme que nous posons nos bagages pour la soirée et la nuit à venir.

Dans la foulée du déménagement, Sophie obtient son brevet de responsable d’exploitation et passe à l’action. Avec quelques tâtonnements au départ. La nouvelle maraîchère a effectivement peu d’expériences concrètes, ses terrains fortement en pente sont compliqués à cultiver et son associée initiale décide de voler de ses propres ailes.
Championne de la débrouille, Sophie trouve néanmoins des solutions. Parfois inattendues, comme ce curieux tuyau qui enjambe un chemin en passant des branches d’un arbre au suivant pour conduire l’eau du ruisseau jusqu’aux serres à moindres frais.
L’agricultrice travaille aujourd’hui exclusivement pour trois AMAP. « J’aime l’idée de connaître les gens et de participer à les nourrir », explique-t-elle. Les contrats légumes, auxquels s’ajoutent ceux pour le pain, permettent de faire vivre quatre personnes sur la ferme (Sophie, Rémi, une salariée et un entrepreneur à l'essai). 

De retour au gîte après la visite de la ferme, nous partageons les plats que chacun d’entre nous a préparés pour l’occasion.

Chez Nathalie, éleveuse de vaches laitières à Marines

Seule agricultrice de notre parcours qui ne travaille pas (encore ?) avec des AMAP, elle nous conduit dans l’étable, à l’abri du vent pour évoquer son activité au milieu des veaux et des vaches.

Depuis qu’elle est toute gamine, Nathalie sait qu’elle reprendra les rênes de l’entreprise paternelle. Le métier est une histoire familiale qui remonte à plusieurs générations et elle est passionnée par l’élevage laitier. « Dans la tradition, les femmes s’occupent des vaches, des chevaux et du jardin dans ma famille… », commente-t-elle. Pourtant, la profession semble encore réservée à la gent masculine : « Au lycée agricole nous n’étions que 7 filles sur 250 élèves et lorsque je me suis installée au début des années 2000, j’étais la seule agricultrice du département ! », raconte-t-elle. Or « une femme doit quatre fois plus faire ses preuves qu’un homme ! ».

La petite exploitation doit d’ailleurs faire face à maints obstacles : actes malveillants à répétition, lourdeurs administratives diverses puis crise laitière. Les dettes qui s’accumulent, la PAC qui n’est pas versée et le manque de soutien de la banque entraînent Nathalie vers le burn-out. Cet épisode douloureux est l’occasion de tourner une page. L’éleveuse passionnée repense le mode de fonctionnement qu’on lui impose jusqu’alors. Avec un coup de pouce de ses proches, elle passe au bio et change de coopérative. « La production est moindre, mais de meilleure qualité, souligne-t-elle, et 60 % du lait est transformé par des entreprises locales. C’est important de savoir où va ce que l'on produit ». D’autres innovations suivent, comme la vente directe de yaourts fabriqués avec le lait de ses vaches. L’idée de partenariats fait aussi son chemin.

Nathalie ne dégage pas encore un vrai salaire, mais elle est fière d’avoir pu garder la tête hors de l’eau. Active au sein de sa commune et du parc régional, elle s’implique également dans la formation de la prochaine génération et accueille des stagiaires filles : « Elles ont toujours du mal à trouver un entrepreneur qui leur fasse confiance. Je leur fais prendre des initiatives pour qu’elles prennent du mordant. Il y a de plus en plus de femmes dans ce métier. C’est encourageant ! »

Mais ce qui semble le plus réjouir notre paysanne, c’est l’attrait de ses neveux et nièces sont pour cette profession qui l’occupe à plein temps, mais à laquelle elle tient tant.

(Nota : retrouvez Nathalie dans le documentaire pré-cité)

Entre soirée d'échanges et pizza au feu de bois

De retour chez Sophie, nous discutons de la place des femmes dans l’agriculture (elles ne représentent que 25 % des nouvelles installations). Sous forme de jeu, l’équipe du Réseau AMAP Île-de-France nous invite à retrouver les chiffres et dates clés pour mettre en perspective la situation de la gent féminine dans ce secteur, mais aussi dans le monde du travail en général. Nous évoquons aussi le déséquilibre de la répartition des rôles au sein de la famille. Charlotte, maraîchère et amie de Sophie, venue nous rendre visite, nous raconte son parcours. L’ancienne photographe parisienne a quitté le quartier du Sacré-Cœur pour se consacrer à la terre. Heureuse de ce changement de vie, malgré la difficulté des femmes agricultrices à faire accepter les contraintes à leur compagnon, elle constate avec un sourire aux lèvres : « Les journées sont longues. Les soirées courtes ! »

Le jour décline. Place à "l'atelier pizzas". Une partie d’entre nous les confectionne avec la pâte à pain de Rémi avant de les cuire quelques minutes dans le vieux four toujours en activité. D’autres, très concentrés, s'occupent déjà de la préparation des salades pour le déjeuner du lendemain.
Il est alors temps de passer à la dégustation et aux longues discussions autour de l’imposante table de ferme du gîte.

Cap sur la vallée de Chevreuse, chez Morgane

Le matin suivant, nous partons pour le Parc naturel régional de la vallée de Chevreuse, dans les Yvelines. Notre première étape est la ferme de Morgane Converset, sur un terrain qu’elle loue depuis trois ans. Clôture, hangar, serre : la jeune femme a mené d’importants travaux pour s’installer après deux ans de couveuse. Le moment du forage est particulièrement marquant. L’entrepreneur a dû creuser à 72 m de profondeur pour trouver et amener l’eau si incontournable ! 

La paysanne nous fait part de ses déboires : non-perception de la PAC (celle-ci est toujours perçue par un confrère... qui occupait illégalement une parcelle avant son installation !), lourdeurs administratives, absence de week-ends et de vacances, bâtons dans les roues des élus locaux et autres péripéties. Le combat est rude, mais Morgane poursuit vaillamment son chemin, avec l’appréciable soutien du Parc naturel, des membres de ses AMAP, des élus et du foyer rural du village où elle habite et surtout de son compagnon. « J’adore ce que je fais. Je suis bien dehors, revendique Morgane. Il faut être passionnée ou être maso pour faire ce métier. »

Au coeur de la forêt de Rambouillet, direction la ferme de la Noue, chez Claudie

Nichée dans la forêt de Rambouillet, la ferme de la Noue est le domaine des chèvres, cochons et brebis. Les premières fournissent du lait qui sert à faire du fromage. Les seconds sont engraissés avec le petit lait issu de la transformation. Les moutons sont quant à eux élevés pour la viande et la laine.

Claudie et son mari Philippe sont à la tête de cet élevage des Yvelines depuis la fin des années 1990. Ils vendent l’essentiel de leur production en AMAP et le reste à la ferme. La salle de traite construite il y a cinq ans facilite le travail effectué manuellement les premières années. Après la visite des lieux et un coup d’œil sur le laboratoire, nombre d’entre nous retrouve Claudie dans la petite boutique où l’on peut notamment acheter le fromage local. Une aubaine pour les visiteurs… car il est délicieux.

Après un repas sur les tables installées devant le bâtiment, nous partons pour notre dernière étape.

Place à la ferme des Clos, à Bonnelles, à la rencontre de Cécile

La ferme des Clos jouxte un vieux hameau dans la commune de Bonnelles, toujours dans les Yvelines. Cécile, qui nous accueille, explique que nous sommes ici sur une ancienne prairie pour chevaux. Le domaine change de vocation à partir de 2012, pour amorcer une expérience originale. Abeilles, poules, chevaux, cultures de houblon, fruitiers ou maraîchage : divers entrepreneurs exploitent aujourd’hui chacun leur parcelle. Rassemblés au sein d’un collectif dont ils doivent respecter le cahier des charges, ils bénéficient en contrepartie de nombreux avantages liés à cette structure : achats ou locations groupés, échoppe commune avec des ventes en libre-service, échanges de services en fonction de leurs savoir-faire. L’agricultrice et son compagnon, spécialisés en agroforesterie, s’occupent ainsi de tous les arbres du verger.

La jeune quarantenaire nous mène sur son terrain permacole où elle opère de manière très scientifique. Arbustes à petits fruits et plantes maraîchères ou aromatiques sont sélectionnés et associés au mieux. Les récoltes de fruits se répartissent ainsi de mai à octobre tandis que la cohabitation entre plantes auxiliaires favorise des apports complémentaires ou des protections réciproques contre les parasites. L’esthétique des plantations trahit la carrière d’architecte paysagiste de Cécile… et séduit les stagiaires femmes.

30 % des récoltes sont transformés (surgélation, confiture, sirop, sorbet). Le reste est réparti entre des AMAP, des restaurateurs et la Ruche qui dit Oui. L’agricultrice prévoit de développer une pépinière dans laquelle elle pourra préparer les futurs plans de ses arbres à petits fruits. Notre guide nous détaille toutes les opérations pour préparer la terre. « C’est un métier physique », insiste cette adepte du yoga. « Il faut faire attention à sa position et savoir détendre son corps, sinon, on risque des tendinites ».

Notre weekend au vert s’achève. La petite troupe se sépare après un rapide bilan de ce voyage d’études. Deux journées de découverte, riches en rencontres avec des parcours et des personnalités très diverses, mais toujours très éprises de leur métier.

Par Cécile Ybert, amapienne à Chaville (92)

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